Trois questions à Noël Jovignot

Entrevue par Dominique Batraville, 21 juin 2005

1- Expliquez la portée du Festival Textes en Paroles pour la littérature caribéenne d’expression créole et française ?

L’action de Textes en Paroles est bénéfique à plusieurs niveaux :

pour les auteurs de la Caraïbe d’abord. Yoshvani Medina, présent lors de la 1ère édition en 2002 et qui est revenu cette année, me redisait l’importance de notre action … « c’est très important pour les auteurs ce que vous faites. Nous sommes très isolés, nous avons besoin de ces rencontres, de ces échanges, de sentir que l’on s’intéresse à nous. Il n’y a que vous qui faites ça, on peut améliorer bien sûr mais surtout continuez ! » Ce sentiment est très répandu chez les auteurs : en 2004, Gaël Octavia venue de Paris exprimait son besoin de nouer des liens avec le milieu théâtral antillais, « dans l’écriture on est très seul et la rencontre me donne de l’énergie », venu de Port au Prince, Baka Roklò cherche « à fuir l’enfermement, là-bas on s’entredéchire ». Les auteurs repartent nourris dans leur travail, confortés dans leurs démarches, motivés pour écrire.

Pour la profession dans son ensemble : ces rencontres entre comédiens, metteurs en scène et auteurs sont très bénéfiques. Elles peuvent déboucher très concrètement sur la constitution d’une équipe artistique – tel metteur en scène trouvant dans les comédien(ne)s sollicités pour les lectures les interprètes du futur spectacle (Greg Germain et Luc Saint Eloy en 2004) et plus largement elles vivifient l’intérêt pour les textes, la curiosité pour les auteurs. Un creuset où pourront à l’avenir s’ébaucher les projets de création.

Pour le rayonnement de l’écriture dramatique de la Caraïbe : l’association est reconnue pour le sérieux de son travail, la qualité de sa sélection. Même si c’est encore tôt pour le dire, viendra le moment où Textes en Paroles sera une référence dans ce domaine. Les liens que nous tissons, en Guadeloupe et en Martinique, avec Haïti et la Dominique, avec la métropole (le Centre National des Ecritures du Spectacle à Villeneuve les Avignon, le Théâtre d’Outre Mer en Avignon …), avec les universitaires et chercheurs nord américains contribuent à ce que le projet soit identifié. Beaucoup reste à faire, en particulier en direction du public de théâtre qu’il nous faudra sensibiliser à notre action, d’abord ici en Guadeloupe et partout où nous pourrons développer un véritable partenariat.

2- Faites-nous le bilan des trois premières éditions de Textes en Paroles, textes qui enrichissent les Archives sonores de La Caraïbe…

Textes en Paroles est une initiative de Michèle Montantin : invitée en Novembre 2001 à participer à la Résidence d’écriture « D’un océan à l’autre » organisée par Gerty Dambury à la Chartreuse de Villeneuve les Avignon, Michèle Montantin en revient avec une pièce inachevée (qui sera sélectionnée en 2004) et le désir « de faire quelque chose en Guadeloupe » : dynamiser l’écriture dramatique dans la Caraïbe, faire connaître les textes pour qu’ils soient montés, faire émerger de nouveaux auteurs. La première édition de Textes en Paroles a eu lieu en mai 2002 dans le cadre du Festival de Théâtre des Abymes : montée en toute hâte elle a réuni 9 auteurs dont les textes ont été lus par une kyrielle de comédiens guadeloupéens. Moment confidentiel certes mais magique qui laissera dans les esprits une impression durable et surtout l’envie de poursuivre.

Dès la 2e édition, toujours organisée dans le cadre du Festival Téyat Zabim, un Comité de lecture a été mis en place qui a pu faire sa sélection ; il est présidé par Diane Pavlovic, directrice à Montréal de la formation des auteurs à l’Ecole Nationale de Théâtre du Canada. Une grande professionnelle, critique de théâtre elle-même, dramaturge et théoricienne, qui accompagne le projet depuis ses débuts : elle met à son service ses analyses extrêmement pénétrantes, sa très grande culture qui lui confère une réelle autorité intellectuelle. Son goût des rencontres, sa disponibilité envers les auteurs, sa curiosité accompagnent depuis 2003 les manifestations de Textes en Paroles. A l’issue de cette 2e édition, l’association Textes en Paroles est créée : présidée par Michèle Montantin, elle réunit dans son Conseil d’Administration des responsables culturels notoires dont Claude Kiavué, directeur du Centre des Arts de Pointe à Pitre et Fanny Auguiac, directrice de la Scène Nationale de Fort de France.

Avec sa 3e édition qui s’est déroulée du 26 mai au 5 juin 2004 en Martinique (3 lectures publiques) puis en Guadeloupe (3 lectures publiques et L’Intégrale des lectures au cours de laquelle tous les textes sont lus dans une même journée, avec la participation d’une trentaine de lecteurs), le projet affirmait une dimension inter-régionale. Avec des participants, venus de Martinique, de métropole, d’Haïti et du Canada, la manifestation, lieu d’échanges et de rencontres, prenait tout son sens. Elle s’est prolongée en Avignon avec la présentation des 6 sélectionnés au TOMA, du 12 au 16 juillet.

Au cours de ces 4 éditions, des liens avec les auteurs se sont créés : ils auront été 47 à nous envoyer un, parfois deux textes. 21 d’entre eux auront participé à ces quatre éditions. Les citer tous, c’est leur rendre hommage et montrer la vitalité de l’écriture dramatique caribéenne : Eddie Arnell (2002), Dominique Batraville (2005), Daniel Boukman (2004), Ina Césaire (2002), Gerty Dambury (2002 et 2003) Frankito (2005), Jean-Claude Ismar (2003) José Jernidier (2005) Jean René Lemoine (2002 et 2003) Philippe Loubat-Delranc (2003) Noël Martine (2005) Georges Mauvois (2004) Yoshvani Medina (2002 et 2005), Michèle Montantin (2002 et 2004), Gaël Octavia (2004), José Pliya (2002 et 2003), Baka Roklò (2004), Luc Saint Eloy (2004), Lucette Salibur (2002), Patrick Soulez (2002), Frantz Succab (2003 et 2005).

C’est aussi un travail formidable accompli par les membres du Comité de Lecture qui, autour de Diane Pavlovic, lisent, annotent, analysent les textes qui leur sont envoyés sous anonymat et rédigent sur chacun d’eux une fiche de lecture : Mireille Bandou, Stéphanie Bérard, Catherine Dana, Isabelle Lusignan, Christiane Makward, Odile Pedro Leal, Alvina Ruprecht, Mylène Wagram.

3 – Que peut-on espérer des prochaines rencontres Textes en Paroles?

Au cours de cette année 2005 le projet recentré sur la Guadeloupe a donc évolué : avec un soutien fort de la DRAC, du Conseil Général et du Conseil Régional, avec le soutien aussi de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), l’association, en partenariat avec la Médiathèque Caraïbe de Basse Terre, va se transformer en un Centre de Ressources sur l’écriture dramatique. Il aura pour mission de mettre en valeur le répertoire caribéen : il s’agira d’abord de reprendre et développer le site de la Médiathèque « Répertoire antillais » et de l’ouvrir sur la Caraïbe ; dans le même temps Textes en Paroles poursuivra son travail en direction des auteurs contemporains, cherchera à conquérir un large public. Un projet pour l’édition des textes est à l’étude avec le Conseil Général de la Guadeloupe. La création d’un poste de permanent va de pair avec cette mutation et amplifiera les possibilités d’action de l’association. L’association se constitue là une base solide qui lui permettra de rayonner sur toute la Caraïbe.

Biographie de Noël Jovignot

Dominique Brataville. Né en 1962 à Port-au-Prince, grand bavard devant l’Eternel, FRANTZ DOMINIQUE BATRAVILLE considère qu’ «un poète doit avoir sept métiers pour vivre en Haïti». Il est lui-même écrivain, éditeur à ses heures, journaliste (en particulier au «Nouvelliste»), et comédien (par exemple dans le «Royal Bonbon» de Charles Najman, Prix Jean Vigo 2002). Photo © Jean-François Chalut, Livres en Folie, Pétion-Ville, 2000.

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